Bauduin

Musée des Beaux arts de Vannes

Musée des Beaux arts de Vannes

Du 13/02/10 – 02/05/10

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Bauduin est un artiste de la rupture, de la ligne brisée ou interrompue, de l’expérimentation permanente des formes élémentaires, des espaces : lieux d’utopie, du temps enfin, comme un long ruban qui relie.

Très jeune, à 17 ans, il quitte une famille trop étroite, une région trop pesante, pour un avenir incertain. Se jeter dans le vide semblait alors être sa seule manière de vivre.

A Paris, il rencontre Zadkine, Giacometti, Camille Bryen, se lie d’amitié avec Olga, la femme de Picabia. Pour vivre, le maçon se fait potier.

Recto du carton d'invitation - Musée des beaux Arts de Vannes

Nous sommes en 1965, Bauduin travaille à des éditions de Gauguin, de Cocteau. Il gagne de l’argent mais, insatisfait, il quitte tout. Pendant deux ans, la peinture l’occupe totalement. Il explore le langage de l’abstraction, dans le sillage des constructivistes, Malevitch, et peut-être plus encore, Joseph Albers, appréhende la forme, la surface, la couleur. Cet art d’architecte devait immanquablement le mener à la sculpture.

Le passage se fait en 1967, il s’en suivra une série d’œuvres en bois peint dont plusieurs titres « déstabilisation » renvoient à des notions de basculement, transformation, mouvement, et d’espace.

En 1970, Bauduin obtient une bourse du Brooklyn Institute of Arts and Sciences de New-York, où il séjourne jusqu’en 1974. Son interrogation de la forme, dans ses multiples développements, se poursuit au moyen d’outils nouveaux, notamment le son, la musique sérielle, le film qui introduit rythme, séquence, mouvement, en parfaite résonance avec les recherches plastiques du moment.

C’est à cette époque, en 1971, qu’il réalise le premier film d’une longue série, « Distances ».

Mais l’aventure américaine va vite le lasser. Les amis rencontrés, aussi sympathiques soient-ils, ont le culte de la spécialisation. Or Bauduin n’est pas l’homme d’une seule idée. Pour exister, il a besoin du brassage de projets créateurs, confrontés à des pratiques et des sensibilités diverses et sous-tendus par une pensée philosophique ouverte.

Ce foisonnement, qu’on appelle la culture, c’est à Paris qu’il le retrouve. De cette période, 1975, date la première action de « Dé Poser » la forme. Bauduin donne à ce geste la définition suivante : « Dé Poser : faire le vide pour évacuer tout ce qui s’oppose ; effacer toute dualité (à la forme, dans la forme, sur la forme), entre apparence et essence de la surface des choses ».

Il s’agit pour l’artiste de donner à chacun le moyen de s’approprier formes, paysages, ou des monuments comme les mégalithes qu’il affectionne.

La perche d’arpenteur, la cordelette tendue, ou son propre corps devenu objet de mesure (il dirait « Dé Mesure ») lui permettent de souligner, d’isoler, de prolonger un regard, une méditation.

Par ces interventions très simples, Bauduin modifie la perception des choses, propose une nouvelle lecture du paysage. Il en garde la trace par la photographie, le dessin, le dessin de terre.

Dessins encore, avec les phasmes, ces insectes qui se confondent avec des brindilles de bois sec et dont le corps semble construit à l’équerre. Bauduin ne pouvait qu’être fasciné par cette invraisemblable forme vivante, immobile et graphique, une prouesse d’effacement, qu’il prolonge par le trait pour le rendre visible à nos yeux.

En 1985, Baudouin abandonne définitivement la sculpture traditionnelle. Le travail sur le paysage qu’il modèle et révèle tout à la fois, l’absorbe complètement.

L’installation au moulin de Callac en 1986, intitulée « L’Etant de l’autre » associe un espace clos, des troncs d’arbre, des pierres, des cordes, l’eau, le son, des images projetées, en une œuvre totale.

Depuis 1982, avec « Le jardin du Faire-ailleurs », Bauduin donne pour la première fois forme de livres à ses expériences. Ils deviendront les jalons de l’œuvre, figurant eux-mêmes les « Dé Position » d’une mesure, d’une forme, d’un matériau : le verre, le sel…

Aujourd’hui, la tentation de l’artiste serait d’économiser son geste, de l’enfermer dans le livre qui, à lui seul, suffit à exprimer une pensée. Il ne sent plus la nécessité d’être démonstratif.

Le paysage encore. La nature, dont Bauduin dit qu’elle est sa vie depuis toujours.

Le besoin d’embrasser le monde le mène en 1990 dans le grand Nord islandais, à Reykjavik, pour y « Dé Poser » un cylindre de pierre de Bretagne.

En 1992, bénéficiant du Prix de la Fondation du Japon, qui lui permet un séjour d’un mois dans ce pays, il répète le geste dans un monastère zen, étonné de l’accueil fait par les moines à un concept reçu comme un symbole familier.

Bauduin retournera régulièrement dans ce pays. Il ne s’agit pas pour lui de s’approprier les signes de la culture japonaise, mais de mettre un geste en résonance avec la sensibilité de l’autre. En cela les Japonais s’avèrent particulièrement réceptifs à son œuvre.

Au fil des années, le jardin de l’artiste devient le support de son œuvre. Jardin de terre rouge, où les pierres structurent l’espace, carré de verre... inscrits dans un environnement végétal d’une parfaite harmonie. Autant que la terre, le verre est le matériau d’une interrogation plastique et philosophique. Le verre, mince espace entre le visible et l’invisible, varie avec la lumière, masque et révèle tout à la fois.

Dans le livre « Dé Poser le verre », de 2005, Bauduin reprend des installations plus anciennes où le verre, au fil des heures, devient opaque, diaphane, fait apparaître des géométries éphémères, s’anime de reflets ou devient totalement invisible à l’œil. Sa forme carrée figure l’abstraction absolue et aussi la réalité la plus tangible qui soit. Le verre est le quotidien, la solitude, le silence auquel Bauduin associe « la quête de l’autre, effacement, disparition ».

Chaque livre enferme ainsi une question explorée par l’image et par les mots. En cela, Bauduin est l’héritier de Francis Picabia qui, dans les années trente, expérimenta en peinture « les transparences », images superposées dont le message se brouille, où les mots fonctionnent comme signes et sons, abandonnant à chacun le sens de l’objet.

L’inspiration de Bauduin n’est pas non plus étrangère à la pensée poétique de Marcel Duchamp. Dans un coin de l’atelier, un verre brisé, un outil de mesure et un coin de bois mis ensemble constituent un clin d’œil et un hommage à l’emblématique « Grand verre » conservé au musée de Philadelphie.

Ce n’est pas un hasard si, comme ses aînés dadaïstes, Bauduin puise dans la littérature, le cinéma, la musique, ses références de plasticien.

2005, le livre « Dé Poser la Demeure » réunit un travail commencé en 1988 sur les Demeures, mégalithes, blockhaus abandonnés sur les plages de l’Atlantique, mais aussi fontaines sacrées, stèles gauloises, phares… Il ne s’agit pas de lieux de vie, mais les traces d’un temps passé, d’une histoire, dont l’artiste dresse un inventaire personnel, du cheminement de l’homme dans la solitude des pierres.

Les livres de Bauduin sont des objets précieux, protégés tantôt par un écrin de cuir et de bois s’ouvrant comme la porte d’un petit temple, ou étui en feutre pour protéger un carré de verre, ou encore une caverne de lourd granit pour abriter une idée légère, et toujours le ruban rouge comme la touche dans le tableau classique.

 

Depuis 40 ans, Bauduin épuise son sujet, efface, avance dans le vide, sans certitudes.
Ainsi se construit ce parcours singulier.

 

Marie-Françoise Le Saux
Conservateur des musées